"Murmurer" ces murs absurdes

Olfa Belhassine

LA PRESSE DE TUNISIE
Janvier 2011

 

(…) Les images inquiétantes de ces murs improbables, laissés à l’abandon, figurant un au-delà onirique, ont donné la série «Murmurer» («hamhama»), réalisée entre 2007 et 2009 (…)

Une maîtrise d’animation culturelle en poche, une exposition personnelle à son actif, Mouna Karray s’envole à l’âge de vingt-sept ans au Japon pour suivre une formation dans une grande école de photo, dispensée par le maître Hosoe Eiko. La jeune femme se laisse alors — en cette fin des années 1990 — bercer et nourrir par la photo japonaise des années 1970, en noir et blanc, contrastée, granulée, par l’explosion des talents des enfants de la bombe que la profusion des livres et des revues d’images met sous la lumière, par Tokyo, la métropole elle-même, surdimensionnée, rythmée par les mouvements effrénés de la foule et de la consommation.

Après un long travail d’inspiration autobiographique sur la capitale japonaise (self portrait «Tokyo mon amour»), sur le deuil («El Mech’hed»), puis sur la ressemblance et la dissemblance («Au risque de l’identité»), Mouna Karray, qui vit depuis plusieurs années entre Paris et Tunis, attaque un nouveau projet photographique sur les murs de Sfax, sa ville natale. Les images inquiétantes de ces murs improbables, laissés à l’abandon, figurant un au-delà onirique, ont donné la série «Murmurer» («hamhama»), réalisée entre 2007 et 2009, dont vingt-sept images seront exposées à partir de demain et jusqu’au 30 janvier prochain à la galerie El Marsa, place du Saf Saf. Si «Murmurer» a beaucoup voyagé, le Congo, Marseille, Bruxelles, et qu’elle a été montrée dans le cadre de prestigieuses manifestations artistiques comme Paris Photo, l’automne dernier, ou les «Rencontres Africaines Photographiques de Bamako», en 2008, c’est la première fois que le public pourra voir la série en entier et dans un lieu situé à quelque 300 kilomètres de leur contexte d’origine, la ville de Sfax.

Mouna Karray était en fait tombée sur ces murs, à l’identité incertaine, en cherchant à répondre au thème «Au-delà de la ville», lancé par les Rencontres de Bamako. Elle retrouve bien dans la zone portuaire de Sfax et dans une aire en stand-by abîmée, blessée par d’anciennes activités industrielles et chimiques, cette idée de la présence/absence qui la fascine tant. Des portes et des enceintes entourées de vide, des paysages urbains en ruine, des architectures en désordre, mais qui, bizarrement, continuent même dans les zones résidentielles. L’étrange aurait-il investi toute la ville ? Serait-il devenu un système établi ?

De facture austère, prises en noir et blanc et en argentique, ces photos, aux splendides tons sur tons gris, se lisent comme une histoire du passé, du présent et de l’avenir incertain d’un territoire aux confins d’une ville si connue…