L'Afrique révélée par elle-même

Jeanne Mercier

FISHEYE MAGAZINE
Nov-Déc 2017

Sur une proposition de Simon Njami

 

(…) Elle s’interroge depuis une quinzaine d’années sur la construction de nos identités, chacune de ses séries ayant pour point de départ une anecdote personnelle. Elle cherche à montrer, au-delà des apparences et des déterminations, la complexité des espaces, domestiques ou urbains, intimes ou publics.(…)

Artiste tunisienne née en 1970, Mouna Karray partage sa vie entre Sfax et Paris.
Elle s’interroge depuis une quinzaine d’années sur la construction de nos identités, chacune de ses séries ayant pour point de départ une anecdote personnelle. Elle cherche à montrer, au-delà des apparences et des déterminations, la complexité des espaces, domestiques ou urbains, intimes ou publics.
C’est avec Au risque de l’identité qu’elle commence à exposer. Réalisée en 2006 au Japon – pays où elle résidait jusqu’en 2002 après un master spécialisé en photographie au Tokyo Institute of Polytechnics and Arts –, c’est une série minutieuse et intrigante, en format carré et en couleur. Mouna Karray y investit les intérieurs d’autres femmes et adopte leurs postures pour questionner l’identité, la ressemblance et la différence. C’est la limite de la photographie et de l’expérience qu’elle explore : “Il est fascinant de voir comment l’interprétation, ainsi que la vision du photographe, peuvent altérer à la fois la perception et la réalité.”
Dans sa série Noir (2011), composée de huit photographies en noir et blanc, toujours au format carré, Mouna Karray s’est mise en scène enfermée dans un drap blanc. Seule sa main visible actionne la prise de vue. “Mon corps est emprisonné, contraint, mais créateur”, explique l’auteure, avant d’évoquer une expérience qui l’a inspirée. “Un jour à Sfax, j’ai vu un coq dans un bus. Un homme l’avait acheté vivant au marché et le portait dans un sac en plastique, et il se débattait.”

LA FIGURE D’UNE RÉSISTANCE

Elle réalise entre 2012 et 2015, en couleur, Nobody Will Talk About Us. Dans un univers minéral du sud de la Tunisie, elle imagine un corps captif, dans un sac blanc, qui se déplacerait sur des centaines de kilomètres.
Une métaphore de cette région déshéritée depuis l’indépendance. « Ce corps dans sa lutte, dans ses rencontres, dans son errance et dans ses errements, c’est la figure d’une résistance pour la liberté et le réenchantement d’une terre abandonnée. » C’est aussi cette résistance qu’elle évoque à travers sa série The Rope (La Corde), un très grand quadriptyque réalisé pour l’exposition The Divine Comedy du commissaire Simon Njami. À travers un effet de surexposition, la corde s’efface progressivement, le reste de l’image étant invisible sous l’effet d’une lumière blanche, éblouissante.

Mouna Karray a exposé à la Biennale de Bamako en 2007 et 2011, à Dak’Art en 2016, au National Museum of African Art de la Smithsonian Institution, à Washington, ou encore à l’Institut du monde arabe à Paris. Elle est représentée par la Tyburn Gallery à Londres depuis un an. Sur les foires ou dans sa galerie, sa cote oscille entre 1 000 euros pour les très petits formats et 17 000 euros pour des photographies plus grandes. Aujourd’hui ses œuvres font partie de plusieurs collections, comme la Fondation Sindika Dokolo et la collection Nadour.

Jeanne Mercier